And now for something completely vieux con.
Dans les années 70, c'était facile d'avoir l'impression de tout savoir de la pop, du rock et de la folk; il suffisait de lire attentivement Rock & Folk, de regarder Chorus sur Antenne 2, et d'écouter France Inter le soir, et on avait à peu près fait le tour. On écoutait, on comprenait les courants, on observait les mouvances, on achetait. Ce qu'on n'achetait pas, on l'entendait chez les copains, si ça nous plaisait on enregistrait une cassette sur un affreux combiné tourne-disque/k7. Ca ne méritait pas le nom de piratage, vu la piètre qualité de copie analogique, malgré l'apparition du dolby puis des cassettes au chrome. Ce qui était pirate, c'était les concerts enregistrés sous la pluie à travers un sac de couchage, fallait vraiment être fan pour acheter.
Le disque était un objet concret et imposant, quand on l'achetait on nouait avec lui des rapports quasi-amoureux, on l'emmenait avec nous aux soirées, on notait et mémorisait les craquements et poussières qui apparaissaient au fur et à mesure de l'usure provoquée par les écoutes. Ca prenait des mois pour tisser son cocon de glu émotionnelle autour de lui.
Bon, voilà qu'en 40 ans, le disque a quasiment disparu comme support, tout s'écoute gratuitement et s'achète en ligne, et il ne s'écoule pas une semaine sans que 30 groupes essentiels surgissent de nulle part. Qu'on le veuille ou non, on est largué. Ca fait longtemps qu'on n'a plus le coeur à lire Rock & Folk, les Inrocks sont trop souvent dans la hype, et on est passé à Télérama et aux milliards de blogs musicaux qu'on déchiffre d'un oeil morne, et qui rendent compte de l'émiettement, de la fragmentation des musiques et des publics. On est obligé d'en rabattre sur notre présomption d'universalité. Et de quoi était-elle le paravent ? Une croyance absurde qu'on allait séduire des gonzesses par notre connaissance encyclopédique des arcanes du rock ?
Autant vous le dire tout de suite, avant d'en entendre parler dans Télérama, je croyais que le shoegaze c'était quand on regarde ses chaussures quand on a trop fumé de pétards. J'ai pas connu Slowdive... 17 ans qu'ils n'avaient pas sorti un album. Qu'est-ce qu'ils ont fait pendant tout ce temps ? ils étaient avec Kyle MacLachlan dans la Red Room de Twin Peaks, en attendant que David Lynch y rallume la lumière ? Si j'étais lui, j'aurais mis du Slowdive dans la B.O. de la saison 3, plutôt que les obscurs groupes de synth-pop 80's qu'il balance à chaque fin d'épisode. Les fantômes gazeux des Psychedelic Furs ou des Cocteau Twins que j'entends sur le dernier Slowdive valent bien les girlbands qui défilent dans ce nouveau Twin Peaks. Mais bon, je ne suis pas David Lynch, il m'arrive parfois d'avoir l'impression de revivre éveillé certaines séquences cauchemardesques de la série, c'est déjà pas mal, ne soyons pas trop gourmand.
Ah j'ai eu du mal à me retenir de vous proposer le dernier Slowdive piraté, l'album n'est pas complet sur bandcamp ni sur soundcloud ni sur youtube. Sur spotify ou deezer, sans doute, mais je ne fréquente pas ces plate-formes. Voici les deux premiers morceaux de l'album, qui me plaisent bien.